CONCLUSION
Sans un attachement particulier
pour le patrimoine, il aurait été difficile, voire
pénible, de mener à bien une étude ou tous
les questionnements tournent autour de ce que les dictionnaires
définissent comme notre « héritage commun
», et la plupart de nos élus comme un « témoignage
du passé ». Au cours de ce travail, nous aurons
pu aborder les différents thèmes de recherche
pour lesquels notre intérêt s’était
manifesté dès notre introduction. Il me reste
à analyser la contribution de mes réflexions sur
ces thèmes, et les réponses qu’ils apportent
à ma problématique, à savoir : «
quelles sont la genèse et les conséquences du
processus de patrimonialisation dans la vallée du Cher,
et comment les acteurs locaux y prennent-ils part ? ».
La vallée du Cher
a d’abord retenu notre attention, à tel point qu’après
l’avoir présentée et délimitée
nous avons cherché à estimer son unité.
En effet, il nous est apparu nécessaire de déterminer
l’unité de cet espace pour en justifier le choix
comme cadre d’étude. Le principe était de
savoir s’il avérait être pertinent de parler
de patrimoine, de politiques patrimoniales, ou encore d’acteurs
locaux à l’échelle de cette vallée.
La mise en avant de plusieurs caractéristiques de cet
ensemble fluvial nous a aiguillé vers une réponse
positive. Par son paysage, ses cultures agricoles, la canalisation
de son fleuve et surtout son patrimoine, la vallée du
Cher fait preuve d’une grande unité. De plus, les
élus locaux eux-mêmes s’accordent à
dire qu’il s’agit d’un espace dont l’unité
ne fait aucun doute. Cette constatation nous conforte donc dans
le choix de ce cadre de travail, qui est propice à l’étude
du processus de patrimonialisation et des relations que nouent
les acteurs du patrimoine. La patrimonialisation aura donc été
définie comme un processus qui permet à un objet
de passer d’un stade de non-reconnaissance à un
stade d’appropriation, et même d’attachement,
par le biais de médiateurs (élus, associations
de protection du patrimoine…) qui œuvrent pour le
compte de toute la population. Nous avons constaté que
ce processus est, depuis quelques années, en phase d’accélération
suite à des bouleversements sociaux et à l’application
de nouvelles valeurs à des éléments patrimoniaux
de plus en plus variés.
C’est justement cette notion de valeur du patrimoine qui
a retenu ensuite notre attention. Il nous est apparu fondamental
de développer cette question, sachant que c’est
sur cette valeur que repose le processus de patrimonialisation.
En effet, l’appropriation par la population (ou du moins
par une partie de la population) d’un nouvel élément
bâti qui va devenir du patrimoine, passe par l’attribution
de valeurs à celui-ci. C’est sur certaines valeurs
anciennes (valeur historique, valeur de remémoration
intentionnelle) qu’a reposé le processus de patrimonialisation
jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle.
Ensuite, de nouvelles valeurs sont apparues lorsque s’est
fait sentir le besoin d’élargir notre panel d’éléments
patrimoniaux.
Naturellement, cette attribution de valeurs à des bâtiments
nous amène à les considérer différemment.
Plus nous conférons de valeurs à un édifice,
plus son sort nous importe. Nous ne serions pas prêts
à accepter sa disparition ou même sa modification.
Ainsi, notre médiateur le plus puissant, l’État,
a mis en place, depuis le début du XXe siècle,
une série de mesures de protection destinées à
préserver les plus remarquables de nos bâtiments
patrimonialisés. Au départ réservées
à des édifices isolés, ces mesures se sont
peu à peu étendues à leurs abords puis
à des ensembles bâtis entiers. Plusieurs degrés
de protections existent, la législation s’adaptant
à la valeur du bâtiment.
Si le patrimoine existe,
c’est parce que des Hommes sont présents pour le
reconnaître. De même, si des constructions appartenant
au patrimoine sont protégées et d’autres
non, c’est que des Hommes ont effectué des choix.
Si le patrimoine non protégé n’est pas délaissé
et si le patrimoine protégé est sous surveillance,
c’est que des Hommes sont présents pour le prendre
en compte. Ce constat nous a poussé à recenser
les acteurs qui travaillent sur le patrimoine. Il nous est apparu
que dans la vallée du Cher, les plus influents sont les
élus communaux (principalement les maires et les adjoints
chargés du patrimoine), les architectes des bâtiments
de France dont la mission est de contrôler les interventions
sur le patrimoine protégé, et les particuliers
qui sont les premiers propriétaires d’édifices
élevés au rang de patrimoine (protégés
ou non). Le Conseil Général et le Conseil Régional
ont aussi un rôle important à jouer, mais seulement
en terme de financements. Sans vouloir minimiser leur importance,
il s’est avéré que les associations ont
un rôle un peu à part dans la vallée. Certaines
sont discrètes, et ont sur le patrimoine un impact plus
faible que les autres acteurs. D’autres, telle la PACT,
agissent activement sur le patrimoine, en relation avec les
communes.
Tous ces acteurs prennent part, selon les cas, à la patrimonialisation
des éléments de construction de la vallée
du Cher. En général, une association ou des particuliers
donnent l’impulsion qui va permettre à un édifice
mineur d’appartenir au petit patrimoine. Les élus
communaux participent à la patrimonialisation d’espaces
bâtis entiers, lorsqu’ils lancent des opérations
de mise en valeur du centre ancien de leur commune. Les architectes
des bâtiments de France interviennent à un autre
niveau dans le processus, puisque leur présence signifie
que la patrimonialisation est arrivée à son terme,
celui de la protection. Le Conseil Général et
le Conseil Régional, par leur octroi de subventions (pour
des travaux) peuvent jouer un rôle d’accélérateur
du processus, en permettant une prise en compte plus rapide
du patrimoine.
Tous ces acteurs n’ayant
pas les mêmes objectifs, leurs relations peuvent parfois
devenir conflictuelles. De plus en plus, les interventions sur
le patrimoine deviennent une source importante de conflits.
Plus le processus de patrimonialisation d’un objet est
arrivé à un stade avancé (protection),
plus les conflits pouvant naître à son sujet sont
sévères. Dans le cas du petit patrimoine (non
protégé), les conflits opposent souvent les élus
communaux à leurs administrés. Dans le cas du
patrimoine protégé, c’est bien souvent l’architecte
des bâtiments de France qui est au centre des problèmes,
sa position de censeur le plaçant en conflit aussi bien
avec les habitants qu’avec les élus communaux.
Localement, cela se traduit par des relations tendues entre
les élus et les ABF, et par des contestations fréquentes
des décisions de ces derniers. Pour limiter ces conflits,
des mesures ont été prises, mais leur succès
est tout relatif. Un projet de loi, déposé par
le Sénateur Fauchon, vise à restreindre les pouvoirs
des ABF, jugés trop importants et à l’origine
de la majorité des conflits. Je n’ai pas pu détailler
ce point autant que je l’aurais voulu, en raison de la
nouveauté de cette proposition dont les acteurs (surtout
les élus et les habitants) n’ont pas encore connaissance.
De plus, à l’heure actuelle cette loi, critiquée
par le milieu associatif, n’a toujours pas été
votée. Il serait intéressant de développer
cette question de la modification du cadre législatif,
afin de recueillir les avis des élus, des habitants,
des associations et des ABF sur cette proposition de loi. De
même, si la loi venait à être votée
prochainement, il deviendrait primordial de lui donner une place
importante dans une prochaine étude.
Nous pouvons constater que
cette étude aura permis d’apporter des réponses
aux questions posées dans la problématique. La
genèse du processus de patrimonialisation aura été
expliquée, et les valeurs sur lesquelles elle s’appuie
auront été décrites. Les conséquences
auront été identifiés, à savoir
la protection du patrimoine, sa nécessaire prise en compte
par plusieurs acteurs, et les conflits qu’il peut générer.
Mais au cours de mes recherches, la découverte d’autres
thèmes a confirmé la quantité et la variété
des études possibles sur la question du patrimoine. Ainsi,
en tant que géographe j’aurais pu utiliser d’avantage
l’outil cartographique, afin de montrer de manière
plus fine la place occupée par le patrimoine dans les
communes, les secteurs privilégiés d’interventions
des élus et des ABF, le problème de la limite
de la zone de protection des abords des monuments, etc. De nouveaux
thèmes pourraient être abordés de manière
constructive, et complémentaire pour mon travail, en
utilisant des cartes. Mais il s’agira peut-être
d’un prochain travail de recherche.